Les 17, 18 et 19 novembre 2014 se déroulent, à Amiens, les journées d’étude La part artistique de l’habiter: perspectives contemporaines. Une réalisation conjointe des groupes de recherche Habiter le monde (Université de Picardie-Jules Verne) et L’art et le site (Université de Montréal), les journées accueilleront les performances et communications de 13 chercheurs et chercheuses, issu(e)s de 7 institutions différentes.

Programme

De nombreux projets artistiques contemporains explorent et remettent en cause nos manières d’occuper l’espace géographique. Par leur caractère furtif, relationnel ou infiltrant, ils scrutent les lieux pour en révéler des significations qui, autrement, resteraient enfouies dans le tissu épais de nos pratiques. Ainsi, contrairement à un usage des lieux fondé sur des habitudes et des convenances, certaines interventions artistiques tentent de débusquer le sens qui s’y tapit afin de l’offrir à la réflexion. Prenant appui sur ces formes d’art, les trois journées d’étude projetées examineront l’importance prise par l’art, les images et les représentations, dans la conception contemporaine de l’espace géographique. La perspective est de saisir comment cette démarche artistique et le contexte où elle prend corps témoignent et participent de la manière d’habiter aujourd’hui le monde.

Habiter correspond ordinairement à un ancrage, à un chez soi, ce qui suppose la familiarité. Il faut toutefois prendre en compte la mobilité grandissante des individus et des populations afin de réfléchir l’habiter. En effet, au-delà du seul tourisme, les pérégrinations géographiques sont nombreuses: tout comme les voyageurs, les travailleurs saisonniers ou itinérants, les immigrants et les réfugiés forment toute une humanité en déplacement dont le « chez-soi » est variable ou change périodiquement d’emplacement. Il en va de même pour certains artistes qui dorénavant, nous dit Miwon Kwon, « parcourent le monde à titre d’invités de marque, de touristes, d’aventuriers, de critiques en résidence ou de pseudo-ethnographes », à qui l’on confère le pouvoir de rendre certains lieux uniques. L’art serait alors un vecteur de distinction, portant avec lui la potentialité de créer des identités régionales ou urbaines originales, afin de faire briller des localités, au sein de l’incontournable hiérarchie globale. D’autres types de pratiques, opposant à la surconsommation ambiante une grande économie de moyens, ne déploient aucune stratégie lourde, refusant les discours radicaux tout aussi bien que le spectaculaire, pour proposer de nouvelles attitudes et, par touches minuscules, réinventer l’ordinaire et (ré)occuper ou habiter autrement les espaces urbains, avec des œuvres provoquant l’impromptu, la rencontre fugace ou subreptice qui suggère des changements de point de vue, d’autres ouvertures sur l’urbanité, sur l’environnement, sur le vivre ensemble – choses, gens, lieux et milieux.

Mobilité et ancrage s’envisagent donc comme une réciprocité, les deux termes se répondant. Chacun d’entre nous est susceptible d’habiter plus d’un lieu, ce qui l’oblige à faire siens divers emplacements. Faisant écho à ces mouvements géographiques, la mobilité électronique créée par les technologies de l’information et de la communication suppose, paradoxalement, une forme d’abolition des distances, suggérant ou produisant un effet de proximité, ce qui entraîne éventuellement la possibilité d’établir des liens de familiarité. Ainsi, tout comme l’habiter se conçoit dans la mise en tension de la proximité et de la mobilité, l’espace désormais se décline en une réciprocité entre les sites géographiques matériels et situés et ceux du cyberespace circulatoire et réflexif: dans l’espace public – généralement urbain –, se créent des espaces identitaires ou des espaces habités ou habitables, des micro-milieux où les habitants peuvent interagir; le cyberespace, de son côté, est le lieu où l’image dédoublant et reflétant le monde règne en maître et où se croisent, se prolongent et se répondent pratiques professionnelles (pratiques d’artistes, pratiques d’experts) et pratiques d’amateurs (pratiques ordinaires, pratiques quotidiennes).

Quelques questions soulevées par ces rapports ancrage, familiarité et mobilité, soumises à l’examen et à la discussion lors de ces journées :

  • L’art et les artistes peuvent-ils contribuer à l’enrichissement de ce nouvel outil heuristique que constitue le schème de l’habiter?
  • Comment réfléchir l’art à travers l’habiter, et réciproquement? Ou, l’art peut-il être conçu comme une forme de l’habiter? Aide-t-il à habiter l’espace ou à créer des relations ou des connexions entre les lieux géographiques et les humains?
  • Les artistes, êtres mobiles, participent-ils réellement à créer de nouvelles identités? Comment envisager les rapports local-global à travers l’art et l’action des artistes?
  • Les manifestations artistiques dans le domaine public peuvent-elles créer des mondes communs habitables ou des modèles pour des espaces partagés?
    L’art crée-t-il invariablement des collectifs, des communautés? À cet égard, y a-t-il une différence entre l’art exposé en institution, l’art qui se pratique ou s’exhibe dans le domaine public des villes et les pratiques multimédias qui prennent le Web pour territoire?
  • L’art web et les images qui circulent dans le cyberespace peuvent-ils être considérés comme de l’art public? Si les images diffusées en nombre sans cesse croissant dans les cyber-réseaux créent des communautés, comme en témoignent les groupes d’urban explorers et de photographes en tous genres qui se multiplient, en quoi cela est-il associé à de nouvelles façons d’habiter, à de nouveaux modes de façonnement et de pratique de l’espace public?
  • La circulation et l’échange des représentations et des images dans le web constitue-t-elle une forme d’appropriation seconde, peut-on parler d’« espaces autres » ou autrement appropriés?
  • Les concordances entre sites et sites (lieux physiques et constructions numériques), monde et mise en image du monde, forment-elles paysages ? Comment réfléchir l’environnement dans ces conditions de réciprocité?
  • Finalement, que signifie, à ce jour, habiter en poète? Autrement dit, selon quelles modalités, l’art, ou les arts d’aujourd’hui, interrogent-ils l’habiter contemporain, et réciproquement?