L’art, le citadin et le site : habiter l’espace à l’ère de l’image

Ce colloque s’est tenu à l’Université Laval le 9 mai 2013 dans le cadre du congrès de l’ACFAS 2013 et du colloque annuel du CÉLATLieux de passage et vivre ensemble.

Responsables

Guy MERCIER, Université Laval
Michaël LA CHANCE, UQAC
Suzanne PAQUET, Université de Montréal

Problématique et enjeux du colloque

Les artistes investissent de plus en plus nombreux les places publiques des villes, et ce, de diverses façons : au-delà des formes d’art public plus traditionnelles et pérennes toujours très présentes, les pratiques deviennent relationnelles, éphémères, furtives, in situ et réflexives. Les artistes exerçant ces types d’art urbain estiment qu’ils créent des liens, contribuant à former des collectifs ou des communautés, ce qui correspondrait à la revendication d’une fonctionnalité renouvelée de l’art, de son engagement social, démocratique et écologique. Dans les métropoles en restructuration, des collectifs d’artistes participent aux mouvements d’habitants qui contestent les projets des aménageurs. Il semble que les artistes contribuent ainsi à la reconnaissance du fait que l’habitant est porteur d’une opinion qu’il est nécessaire de prendre en compte dans l’élaboration du projet urbain et de la décision politique. L’art, s’intégrant à l’espace public urbain, l’actualisant ou l’activant, participe à la formulation de problèmes nouveaux.

Des interventions artistiques parfois spectaculaires, mais souvent ponctuelles concourent ainsi à revivifier l’espace public, à redonner une certaine plasticité aux formes urbaines souvent figées afin qu’elles puissent être le support de relations ravivées entre citadins. Pour être véritablement efficaces, ces manifestations appellent une participation active, cependant qu’une certaine réciprocité s’installe entre site et site, entre l’espace urbain et ce nouvel espace de sociabilité qu’est l’Internet. Les images des manifestations artistiques prenant place dans l’espace public urbain et l’interrogeant sont en effet reproduites et circulent dans le web. De même, de nouvelles générations d’artistes croisent fréquemment architecture, paysage et nouveaux médias, proposant des façons différentes d’appréhender, d’habiter et de transformer l’espace et la ville. Ils investissent à la fois les trois formes, complémentaires, de l’espace public : l’espace concret des formes urbaines, l’espace virtuel de dialogue que dessinent les controverses démocratiques et le cyberespace dès lors qu’il prolonge cet espace du débat public.

Dans l’Internet et ses réseaux sociaux, des manières inédites de problématiser et de s’approprier l’espace urbain et ses objets apparaissent, résultant d’une abondante production d’images et de la facilité à les faire voir et circuler. C’est ainsi que la photographie, que l’on croyait vouée à une mort certaine avec l’arrivée de l’image numérique, devient au contraire l’objet par excellence de création de communautés : elle se pose véritablement comme cet art pour tous qu’Arago décrivait dès 1839. Des collectifs de plus en plus nombreux, par exemple des groupes Flickr, se rassemblent autour d’images photographiques de choses et de lieux urbains, qui sont par le fait même appropriés, réfléchis, partagés.

Considérer l’investissement de l’espace des villes et la recherche d’une fonctionnalité sociale nouvelle par les artistes professionnels en regard du récent phénomène de constitution de collectifs autour de pratiques d’amateurs (ou d’un art que l’on pourrait qualifier de populaire) soulève quelques questions essentielles, d’abord celle de la nature de l’art qui se fait aujourd’hui, et aussi celle de l’influence de ces manières de faire sur le façonnement et les pratiques des espaces publics, espaces matériels et situés tout aussi bien que virtuels et circulatoires. La définition de l’œuvre d’art, que l’on supposait généralement constituée, ou mieux, instituée par des gestes ou des interprétations institutionnelles historiquement situées – issues des mondes de l’art – serait-elle en mutation grâce à ces pratiques autres, glisserait-elle vers le domaine plus large des pratiques culturelles? La question de l’espace est, dès lors, corrélative et essentielle puisque cette ouverture possible de la définition de l’art naît de la diversification de l’espace public et, tout à la fois, participe à sa transformation matérielle.

Par un examen réciproque des pratiques touchant l’espace public urbain et le web, il s’agira de vérifier l’importance prise par l’image et par l’art dans les rapports contemporains à l’espace et d’interroger le brouillage entre art d’élite et « goût vulgaire » qui semble s’accentuer avec cette nouvelle dualité. Y aurait-il dilution de l’art dans l’expérience culturelle ou y aurait-il symétrie entre le désir d’un usage renouvelé de l’art actuel le plus pointu et le foisonnement des pratiques internautes ? La double appropriation des technologies de la communication par des groupes d’amateurs et de l’espace public des villes par des artistes, associés parfois aux mouvements d’habitants, cherchant à créer de nouvelles communautés par les mobilisations sociales, signalerait-elle une transformation radicale de la vision et du rôle de l’art relativement aux pratiques spatiales et sociales ?

Présidence/animation : Michaël LACHANCE UQAC – Université du Québec à Chicoutimi

Conférences présentées :

Myriam BARRIAULT-FORTIN Université de Montréal

Arquitectura Expandida (AXP); l’intervention urbaine, l’aménagement d’espace public et communautaire en Colombie

Le collectif d’architectes Arquitectura Expandida (Architecture étendue) se décrit comme nomade, travaillant en réseau, participant à générer des lieux de rencontre et un microlaboratoire de spéculation culturelle. Le processus d’intégration de l’intervention dans l’espace public est au cœur de cette réflexion, ainsi que les moyens employés pour encourager la population avoisinante à participer. Ces interventions sont intégrées dans certains milieux, majoritairement défavorisés, et dédiées à des fonctions bien précises. À l’aide d’exemples, nous observerons les moyens du collectif pour produire une structure physique, parfois mobile, destinée à diffuser ou à être un lieu culturel ou d’échange pour la communauté qui reçoit l’intervention, afin d’activer un espace public. Le cadre architectural, comme celui produit dans la majorité des cas par le collectif Arquitectura Expandida, intègre une production artistique qui peut être externe au groupe ou être une collaboration ponctuelle. Des liens sont alors créés entre plusieurs collectifs d’intervention, mais également avec les communautés. Ces structures reflètent les motifs premiers du collectif. Le travail des collectifs en réseaux est également un aspect intéressant de ce type de production.

Paolo ALMARIO UQAC – Université du Québec à Chicoutimi

La spatialité de l’être : identité construite à partir de variables spatiales

Le questionnement par rapport à comment la perception d’un espace définit la façon dont on l’habite, marque l’ensemble de ma pratique en tant qu’artiste et architecte. Mes explorations m’amènent à conclure que les expériences qui composent l’individu ne sont pas isolées. Par contre, elles sont directement liées à la plateforme spatiale qui leur permet exister. De cette manière, je conçois la « spatialité de l’être », un concept qui définit un type d’identité construite à partir de variables strictement spatiales. La « spatialité de l’être » ouvre un panorama de recherche-création énorme. Pour l’aborder, j’ai consolidé une méthodologie qui tient compte des études de cas. Le premier vise à répondre à la question: « Qu’est-ce qui arrive à un individu lors de la destruction de sa spatialité? ». Cette étude de cas m’a amené à conclure que, inévitablement, notre spatialité est liée aux décisions de tierces, qui ont des intérêts particuliers. Mon concept annonce que la relation individu-espace est définitive pour la partie humaine, car son être au complet sera structuré à partir des limites imposées par d’autres. Ainsi, je lance une de mes premières déclarations: l’individu doit être le concepteur de sa propre spatialité. Prématurément, je conclus que la relation individu-espace est déterminante au niveau identitaire, que l’art est le point de rencontre qui permet d’étudier ces relations, et que la destruction partielle de la spatialité déclenche des processus d’adaptation chez l’individu.

Gabrielle MATHIEU Université de Montréal, Karine BOUCHARD Université de Montréal

Les bruits artistiques dans l’espace public. Une alternative sonore pour l’expérience du flâneur

De par sa définition physique, le son habite l’espace, il lui donne une matière auditive avec laquelle l’ouïe parvient à définir les limites et la structure du lieu. De plus, le son est le signe oublié. À lui seul, il parvient à activer la mémoire, l’imagination et la mythologie d’un individu. En d’autres mots, le son et l’image s’équivalent puisqu’ils évoquent des images mentales et les associent à un réseau d’idées plus grand construisant un discours, un récit. Il n’est alors pas étonnant de voir émerger en art actuel des pratiques questionnant le rôle de l’audition dans l’expérience spectatorielle et donnant lieu à des oeuvres strictement sonores. Ces pratiques prennent des formes multiples, architectures sonores, sculptures sonores, interventions furtives; les artistes ajoutent du matériel sonore ou en déduisent afin de concevoir de nouveaux lieux, de déjouer les attentes relatives à l’espace ou encore de produire des hétérotopies. L’écologie sonore de l’espace public s’en trouve ainsi profondément modifiée, ses signes et ses repères audios sont brouillés. Dans le cadre de ce colloque sur l’art et l’espace urbain, nous proposons d’explorer la dimension de l’expérience spectatorielle des oeuvres sonores dans un contexte d’interventions urbaines. Il s’agira d’établir une cartographie de la recherche en art sonore tout en s’interrogeant sur le nouveau rôle du flâneur baudelairien qui est mis en présence, malgré lui, de sons artistiques dans l’espace urbain.

Noémie LAGO UMons

Artistes et urbanisme expérientiel, une synergie au service de la qualité de vie urbaine

La capacité des espaces publics à être des lieux de convergence et de rencontre diminue face à la montée des enjeux sécuritaires. Néanmoins, les citadins apprécient les espaces proposant une ambiance particulière. Nos études de cas (Paris-Plages, City Lounge à Saint-Gall, Marseille 2013, L’ile de Nantes) soulignent le rôle essentiel de l’intervention artistique dans cette attractivité. En effet, les artistes apportent la créativité permettant de sortir l’usager de son quotidien, de lui faire vivre une expérience originale. Cependant, bien que la démarche artistique soit nécessaire, elle n’est pas suffisante à la recomposition de notre vivre ensemble. À cette fin, elle doit s’intégrer dans un processus urbanistique permettant la prise en compte des attentes des usagers et garant des aspects fonctionnels du lieu. C’est ce que nous proposons à travers le concept d’urbanisme expérientiel. L’urbanisme expérientiel permet d’inclure le ressenti des individus aux démarches traditionnelles de conception d’espaces publics. Il développe cinq dimensions sensibles de l’espace (le sensoriel, l’émotionnel, le cognitif, le comportemental et le relationnel) dont la cohérence est assurée par la présence d’un thème général. Des artistes sont impliqués tout au long de la démarche, pour transcrire sensiblement les intentions urbanistiques. Cette collaboration entre artistes et aménageurs au service des usagers permet le partage d’expériences sensibles dans l’espace, terreau du vivre ensemble.

James PARTAIK UQAC – Université du Québec à Chicoutimi

Circuits et tactiques d’interventions dans l’espace public. L’exploration d’intersections, de collaborations et l’art du dispositif TechNOMAD

L’éversion dans l’univers de l’art numérique semble suggérer une expérience opposée aux technologies immersives qui règnent dans la mise en relation d’expériences humaines à celles du domaine numérique ou virtuel. Par l’entremise d’une utilisation créative de technologies « éversibles », des espaces augmentés sont créés et deviennent ainsi des zones activées de la vie quotidienne dans l’espace public. De manière analogue à l’idée de l’hypermédia, les interventions artistiques utilisant les dispositifs TechNOMAD animent l’espace urbain et ses infrastructures en révélant des enjeux implicites au site, les technologies elles-mêmes dans un contexte culturel spécifique et les actions créatives utilisées pour transformer l’espace public. Par des interventions artistiques, cette réalité médiatisée s’ouvre – à son tour – aux dimensions invisibles et potentielles de la situation.

Cette communication examine les tactiques spécifiques de l’occupation et de l’imbrication des infrastructures urbaines, des créations interdisciplinaires et des technologies faites maison. Les notions de réseaux sans fil entrecroisés, de piratage informatique et de technologies en temps réel étendent les paramètres de l’esthétique au domaine des forces invisibles de la dynamique pure, créant ainsi une réalité multicouche complexe. L’objet trouvé cède sa place au monde trouvé, alors que la myriade sans fin de l’environnement urbain est investie de systèmes technologiques mobiles ou de dispositifs TechNOMAD.

Simon HAREL Université de Montréal

De la Main au Quartier des spectacles : les lieux précaires du Montréal festif

Alors que le Quartier des spectacles prend son essor, qu’il a pour ambition de régénérer l’espace urbain, la Main a bel et bien reçu un œil au beurre noir. C’est en effet une ville laissée à l’abandon, un boulevard sans attrait, à demi mort, qu’il faut décrire, entre Sainte-Catherine et René-Lévesque. À l’instar de ces sans-abris qui errent autour de la Main, un génie du lieu qui possède tous les aspects de la souffrance se manifeste. En effet, la Main est tout le contraire de cet éloge de la festivité qui a pour enjeu de dynamiser la ville par l’entremise de la culture. Ainsi, l’idée d’un art à l’œuvre dans l’espace public doit s’entendre, tel que le perçoit l’ATSA, comme un dispositif mobile, comme une aire de combat qui bouge avec la conjoncture, c’est-à-dire avec l’esprit des lieux. Ce qui nécessite, dans le contexte d’une prise de parole de sujets marginalisés, un éclatement du cadre. L’expression est ambiguë. Qu’est-ce qu’un cadre? C’est un support, une règle, une limite tracée dans l’espace, un signifiant qui délimite un espace, la saisie d’une inscription dans un périmètre. Or, les fabulateurs de l’ATSA, artisans, artistes, sans-abris, bénévoles, tous réunis, font valoir, au cœur de la ville, en son site le plus violenté qu’est ici la place Émilie-Gamelin, la nécessité d’une inscription qui, d’une certaine manière, se passe de cadastre, ce qui traduit en somme, comme aux belles heures du mouvement étudiant, un affect insurrectionnel, un rêve de rébellion.

Mario BÉDARD UQAM – Université du Québec à Montréal

L’artialisation, un processus géosymbolique ?

Nous inspirant de Bachelard, Cauquelin, Girardin et Heidegger, mais encore des préceptes de la géographie culturelle plus-que-figurative, cette communication cherchera à démontrer en quoi les arts, grâce à l’artialisation qui peut être faite de leurs œuvres lorsque celles-ci procèdent d’une imagination foncièrement créatrice, peuvent illustrer la richesse de la charge de sens du lieu. Une charge qu’elle étoffe même en ceci que, heuristique et transcendante, pareille artialisation affine la trame symbolique où le sens du lieu prend forme et où le sentiment d’appartenance naît et se renouvelle comme la contexture des vocations relationnelles et identitaires où le lieu se révèle complexe, dynamique et unique. Réfléchissant sur son rôle quant à l’appropriation et à l’identification au lieu, cette communication s’emploiera somme toute à démontrer en quoi le travail de l’artiste, lorsqu’il parvient à s’ouvrir à l’indicible de notre condition géographique, peut élargir nos horizons de sens à la démesure du Réel et dès lors nous aider à mieux comprendre les valeurs et significations afférentes à notre territorialité.

Danyèle ALAIN 3e impérial, centre d’essai en art actuel

L’art dans l’espace public : nouvelles perspectives. Intervention d’artiste : Danyèle Alain

Devora NEUMARK Université Concordia

L’art dans l’espace public : nouvelles perspectives. Intervention d’artiste : Devora Neumark

*Image d’en-tête : Atsa (Action Terroriste Socialement Acceptable), La petite maison jaune, Fin Novembre 2012.