Un texte de Myriam Barriault-Fortin
L’exposition Land|Slide : Possible Futures, organisée par la commissaire Janine Marchessault, s’est tenue en septembre et octobre 2013 sur les 25 acres du village historique du musée Markham. Cet événement explorait de nouvelles avenues en urbanisme concernant l’utilisation future du territoire du point vue d’un développement écologique, imaginaire et économique. Une trentaine d’artistes locaux et internationaux ont été invités à travailler avec une diversité de médiums artistiques. La commissaire avait l’intention, avec cette exposition, de susciter un dialogue à propos de la relation entre Toronto et Markham. C’est pourquoi les Land|Slide Talks ont été organisées tout au long de l’exposition, pendant lesquelles les artistes en résidence discutaient de leur pratique artistique[1].
Les interventions proposaient des réflexions concernant le futur des villes, des banlieues et des campagnes en transformant et repensant le site historique du Musée Markham. Les artistes réalisaient et exposaient leur propre interprétation de la trentaine de maisons et d’artéfacts du site, datant d’entre 1820 et 1930. Ces réalisations étaient ensuite présentées à l’aide de divers médiums, dont les projections, la réalité augmentée, la sculpture, l’intervention, l’architecture et la performance. Les médiums numériques jouaient un rôle important dans le projet, puisqu’ils permettaient aux visiteurs l’accès aux archives, ainsi qu’à des parcours auditifs. Ces parcours (dont plusieurs sont créés par les artistes Jennie Suddick et Camille Turner) provoquaient un rapport différent avec l’espace et la temporalité du lieu. Suddick a rencontré des résidents de Markham, ceux de longue date comme des plus jeunes, afin de s’informer sur leur promenade favorite. Quant à elle, Turner s’est informée sur l’histoire du commerce d’esclaves en Ontario et rapporte ses résultats dans les capsules auditives destinées aux visiteurs[2].
Afin de comprendre la démarche de Marchessault avec Land|Slide : Possible Futures, il faut remettre l’événement en perspective avec l’exposition antérieure The Leona Drive Project, organisée par The Public Access Collective et L.O.T : Experiments in Urban Research (Collective). Cette exposition in situ a eu lieu du 22 au 31 octobre 2009 dans six bungalows destinés à la démolition à Willowdale, en Ontario. Les artistes Daniel Borins et Jennifer Marman, Patricio Davila, Christine Davis, David Han, ainsi que d’autres ont participé à ce projet, travaillant plusieurs médiums, dont le son, les téléphones cellulaires avec GPS, l’installation architecturale, la projection, la photographie, la sculpture et la performance. Les commissaires Janine Marchessault (Public Access et L.O.T.) et Michael Prokopow (L.O.T.) ont collaboré avec les artistes dans ce quartier avec des maisons de type moderne, homogène et typique de la construction canadienne après la Seconde Guerre mondiale. L’exposition soulevait des questionnements sur les transformations de ces banlieues dans le Canada contemporain.
Dans l’ensemble, ce projet interrogeait la possibilité d’une perte de l’identité traditionnelle et de l’utopie domestique, régionale ou nationale qui serait perceptible depuis les dernières décennies. Les œuvres avaient également pour intention d’analyser les changements autour des questions ethniques, de genre et de classe. Les artistes et les commissaires voulaient notamment étudier les nouvelles communautés qui se développent dans les banlieues actuelles. Le rôle des nouvelles technologies, l’environnement bâti et la division entre la vie publique et privée étaient examinés dans le quotidien du citoyen. Ces thématiques étaient également abordées dans le cadre du colloque sur la culture dans les banlieues[3].
Afin d’examiner l’exposition Land|Slide : Possible Futures, il faut également prendre en compte le groupe de recherche Visible City Project codirigé par Janine Marchessault (Université de York) et Susan Lord (Université de Queen) et qui aborde de nombreuses thématiques qui sont mises de l’avant dans les projets d’art in situ de Marchessault. Le groupe de recherche analyse le rôle de différents artistes dans l’imagination et la conception des villes du XXIe siècle. Il s’intéresse au fonctionnement de la pratique artistique dans un contexte urbain et à son rôle comme outil de subversion des moyens de communication et de renouvellement du rôle démocratique du citoyen. Ces artistes utilisent les nouvelles technologies et explorent les définitions de la translocalité entre espace public et réseaux sociaux, qui ont un fonctionnement distinct. Le projet de recherche s’intéresse principalement aux groupes d’artistes qui utilisent des esthétiques variées, qui ont une orientation vers leur communauté, et dont les interventions suscitent des échanges, des collaborations et des prises de position politiques. Ces projets collaboratifs sont teintés par une définition particulière de la globalisation, et leurs artistes considèrent que l’imaginaire et les médias technologiques peuvent transformer, créer ou reconfigurer de nouvelles formes d’association ou de communauté.
Nous pouvons constater que Land|Slide : Possibles Future s’inscrit dans la continuité des projets précédents ou parallèles de Janine Marchessault. Ils abordent des thématiques similaires à propos du rôle ou de l’apport des artistes dans le développement urbain et des banlieues. Les approches utilisées dans la mise en exposition et le lieu choisi pour les projets de Land|Slide : Possible Futures et The Leona Drive Project ont plusieurs similarités; d’ailleurs, les deux sont situés en banlieue de Toronto et possèdent des connotations historiques spécifiques. Dans les deux cas, les artistes travaillent à partir du lieu pour la production de leurs œuvres.
Un aspect récurrent dans les œuvres de l’exposition à Markham est l’utilisation des nouvelles technologies (ou leur rejet délibéré). C’est d’ailleurs cet angle que Marchessault aborde lorsqu’elle écrit sur son projet. La question de la circulation des images et de l’influence du numérique sur la cartographie des lieux publics est au cœur des réflexions mises de l’avant par la commissaire dans l’exposition Land|Slide : Possible Futures, ce qui s’inscrit dans une suite logique de ses précédents projets.
L’ensemble des œuvres présentées (à l’exception de celle de Xu Tan) est documenté par les textes et les images disponibles sur le site web de l’événement. Les organisateurs et les communications pour l’exposition (The Madeleine Collective) ont largement utilisé les réseaux sociaux. Leurs comptes Twitter[4] et Facebook[5] ont été très actifs durant l’exposition, mais surtout dans les mois qui ont précédé l’ouverture. Ces plateformes ont servi à dévoiler progressivement la programmation et le fait de « suivre » le déroulement de l’organisation a eu pour avantage de prendre connaissance d’informations importantes (conférences, sujets des œuvres, artistes en résidence) avant les sources d’informations plus formelles (site web de l’événement, journaux et magazines dédié à l’art actuel). Non seulement l’exposition organisée par Marchessault s’est-t-elle intéressée aux médias et aux technologies, mais ceux-ci ont fait partie des moyens utilisés afin de susciter l’attention et l’intérêt du visiteur avant qu’il ne soit physiquement présent au Musée de Markham.
Le projet a connu une suite dans le cadre de la Biennale de l’urbanisme et de l’architecture de Shenzhen – Hong Kong en représentant le Canada. L’exposition au pavillon du Canada, du 6 décembre 2013 au 28 février 2014, a présenté des documents et des maquettes du projet exposé à Markham. De plus, des conférences ont eu lieu à l’hiver 2014 à Toronto où les artistes ont abordé les œuvres qu’ils avaient présentées à l’exposition de l’année précédente.
Sources :
Marchessault, Janine (2013) « Land|Slide, an exhibition on possible futures ; Activating the Archives », Ciel Variable, (automne), n°95, 44-49.
S.A. (n.d.) Land|Slide : Possible Futures [en ligne] http://www.landslide-possiblefutures.com/ (Consulté le 10 avril 2014).
S.A. (2009), The Leona Drive Project [en ligne] http://www.leonadrive.ca/ (consulté le 10 avril 2014).
S.A. (n.d.) Visible City Project + Archives [en ligne] http://www.visiblecity.ca/ (consulté le 10 avril 2014).
—
[1] S.A. (n.d.) « About », Land|Slide : Possible Futures [en ligne] http://www.landslide-possiblefutures.com/site.html#about (Consulté le 10 avril 2014).
[2] Marchessault, Janine (2013) « Land|Slide, an exhibition on possible futures ; Activating the Archives », Ciel Variable, (automne), n°95, 44-45.
[3] S.A. (2009), «Curator Statement », The Leona Drive Project [en ligne] http://www.leonadrive.ca/ (consulté le 10 avril 2014).
[4] Le compte Twitter de l’événement, toujours en activité, compte 471 « tweets ». Twitter (n.d.) Land|Slide @landslide2013, [en ligne] https://twitter.com/LandSlide2013 (consulté le 10 avril 2014).
[5] Selon nos observations, durant l’été 2013, le compte Facebook de l’exposition affichait en moyenne un message par jour.