(HAR 7005) – Automne 2013

Université de Montréal

Prof : Suzanne Paquet

 

L’art et le site. L’espace public à l’ère de l’image

Bien des pratiques artistiques proposent aujourd’hui une double position ou un double accès : des interventions dans l’espace urbain (art relationnel, pratiques furtives, art éphémère in situ) sont prolongées ou trouvent une représentation qui leur est symétrique dans le cyberespace. Des artistes utilisent par ailleurs les technologies numériques et l’internet (générateurs d’images, moteurs de recherche, instruments de géo-localisation et médias sociaux) comme outils ou terrains d’investigation, cependant que dans le web, qui facilite grandement la monstration et la propagation des œuvres en tous genres, les photographes amateurs trouvent une tribune, un véritable espace public pour montrer leur production d’images qui, parfois, bien qu’elle soit de l’ordre de ce que l’on appelle la « culture populaire », s’avère être très proche, dans son apparence ou dans son contenu, de l’art des professionnels. Le moyen terme qui rapproche toutes ces pratiques, ou qui semble lier art d’élite et « goût barbare », est l’aspect participatif. En effet, les artistes pratiquant l’art urbain revendiquent une fonctionnalité renouvelée, un engagement social, communautaire ou écologique de l’art alors qu’autour des pratiques d’amateurs ayant le web pour point d’ancrage, se développent des communautés au sein desquelles les échanges et la communication sont de première importance. Ainsi, on ne peut plus penser l’espace public que dans une multiplicité : possiblement physique et situé, mais aussi circulatoire et en réseaux; des formes qui s’amalgament et se répondent, qui doivent être mises en tension et examinées en réciprocité.

Au cours de ce séminaire, nous avons tenté de vérifier les enjeux soulevés par tous ces croisements – espace urbain et cyberespace, art de pointe et pratiques d’amateurs, interconnexions et surveillance, public et privé, etc. – vraisemblablement significatifs d’un changement de régime artistique ou, à tout le moins, culturel. Le pragmatisme et la théorie de l’acteur-réseau, qui engagent à suivre les acteurs et les choses qu’ils mettent en mouvement, ou qui les mettent en mouvement, ont constitué nos appuis théoriques. Suivant ces théories (qui sont des « théories de l’enquête »), la société peut être conçue comme processus, comme étant en recomposition constante à mesure des actions, des interactions et des transactions entre l’individu et son environnement, pour reprendre les termes de John Dewey. L’espace, du moins dans sa dimension proprement humaine, se conçoit de même : il ne préexiste pas à l’action, mais se produit par elle, par les pratiques et les connexions que celles-ci génèrent.

Le modèle de l’acteur-réseau, proche du pragmatisme à certains égards, permet de saisir les phénomènes en traçant les associations qui lient et font agir et interagir les acteurs, les agents et les choses, « tout un bric-à-brac hétéroclite » selon B. Latour et A. Hennion – ici des artistes, des formes artistiques, des lieux, des institutions, des pratiques ou des motifs économiques, politiques, urbanistiques, technologiques, culturels et spatiaux. Cette théorie admet que les objets soient eux-mêmes des médiateurs, des opérateurs de transformation : ce sont souvent autour d’eux que se construisent les collectifs, ce qui est tout à fait juste en ce qui concerne les œuvres d’art et les images; refusant le cloisonnement et un regard trop strictement disciplinaire sur les catégories d’actants, elle s’avère très productive pour l’étude des arts en situation complexe.

Travaux d’étudiants :

« Rejouer le spectacle de la ville. Une étude de cas de l’œuvre Sortir, d’Aude Moreau », par Josianne Poirier.

*Image d’en-tête : Could Cities, Tomas Saraceno, Frankfurt am Main, Roßmarkt, 2011.